Comment s’établit la valeur d’un patrimoine familial selon vous ?
Est-ce sa valeur financière ou bien l’attachement que l’on a pour la maison familiale qui a couvé notre enfance, dans laquelle on a des souvenirs, où l’on a vécu des expériences, partagé des secrets, connu de grandes peines peut-être, mais aussi rencontré de grandes joies, entourés des nôtres, on y a accueilli des proches, partagé des discussions à bâtons rompus… C’est la maison où, devenu adulte, on a plaisir à revenir pour s’y ressourcer et partager à nouveau ce qui nous détermine et le bonheur qu’elle symbolise…
Cette analogie peut paraître éloignée des sujets qui habituellement traitent du monde du travail, toutefois, elle est assez représentative de l’attente actuelle des salariés vis-à-vis de leur entreprise, après la crise sanitaire que nous avons traversée et le retour, souvent contraint, au bureau.

Revenir au bureau oui, mais pour se nourrir et faire fructifier le « patrimoine immatériel » de l’entreprise, à savoir un projet commun, des valeurs, la mission, la vision, une promesse pour y développer le sentiment d’appartenance.
Un nouveau « Regard Croisé » pour vous parler de ce paradigme
Pour vous l’entreprise c’est comme une maison de famille ?
Caroline : D’une certaine façon oui, si l’on prend en compte l’aspect immatériel que représente la relation à l’entreprise dans laquelle on passe beaucoup de temps, dans laquelle on s’investit beaucoup, qui a une place importante dans notre vie et l’influence en termes d’organisation, de choix de lieu de vie, de bien-être ou de stress... On partage avec nos proches ce que l’on vit dans l’entreprise (en bien ou en mal) pour raconter notre quotidien, nos joies et nos difficultés. Plus rarement pour rentrer dans le détail du dossier Moulinart, ce qui démontre bien que la relation à l’entreprise a une place prépondérante dans la vie de chacun, qui lui donne une certaine responsabilité vis-à-vis de ses collaborateurs…
Julien : Absolument, quel que soit notre héritage ou l’endroit d’où l’on vient, tout le monde peut se retrouver dans cette analogie. D’ailleurs, parfois littéralement, l’entreprise constituée par des membres de la famille est une extension de la maison de famille. C’est d’ailleurs dans ce type d’organisation que les équipes se sentent le mieux.
Je pense aussi que le temps passé dans notre foyer pendant la crise a permis à chacun, de comprendre ce qui a de l’importance, du sens, mais aussi ce qui nous construit et nous donne une raison d’agir.
Une entreprise comme son nom l’indique et quelle que soit sa taille, est l’endroit où un groupe de personnes entreprennent un projet, construisent une stratégie ensemble afin de réaliser quelque chose qui les dépasse individuellement, et s’attachent, discutent, partagent, s’aiment et se déchirent aussi. Assez similaire non ?
Comment résonne cette notion d’attachement dans l’entreprise ?
Caroline : On entend beaucoup parler de recherche de sens actuellement, mais c’est clairement ce qui définit l’attachement à l’entreprise, car ce qui entre dans la définition du sens c’est la finalité de quelque chose, ce qui le justifie, ce qui lui donne sa raison d’être et c’est à cela que les collaborateurs s’attachent, comme les clients adhèrent à un univers de marque.
Julien : Je dirais que cela se joue au niveau du projet réel de l’entreprise. Je dis réel car parfois on a le sentiment qu’il y a un décalage entre la mission communiquée par l’entreprise à ses équipes, ou de façon institutionnelle, et la réalité des actions réalisées, la gestion des situations de crises ou tout simplement l’animation des valeurs qui devraient la caractériser au quotidien.
Alors chaque personne s’interroge sur la réalité de sa mission dans l’entreprise, suis-je en train de construire quelque chose qui a du sens pour moi ? ai-je été associé à ce projet en réalité ?
Quand les questions s’accumulent la motivation disparaît, le doute s’installe et tout est envisageable.
Vous aurez beau habiller la mariée, si vos équipes n’ont pas participé à la création du patrimoine immatériel de votre entreprise, été associé aux réflexions sur les valeurs qui les regroupent, aux décisions d’organisation ou de réorganisation, aux virages stratégiques, vous ne créerez pas l’environnement nécessaire pour créer l’attachement.
Je pense par exemple que l’intention de la société vis-à-vis d’eux, est la première chose que les candidats au recrutement vérifient maintenant pour intégrer une entreprise avant la mission confiée.
Quel est bon le niveau d’action pour être plus proactif, pour retrouver du sens ?
Julien : Se concentrer sur la dynamique de collaboration. J’aime la définition de la dynamique, à savoir « l’Ensemble de forces orientées vers un développement, une expansion » elle permet de comprendre qu’il faut agir sur quelque chose en création et en constant mouvement.
Je comprends que l’urgence immédiate soit d’organiser les conditions du retour au travail physique mais pour que cela se passe bien, il faut considérer la dynamique de travail présente dans l’organisation avant la crise
et également ce que les équipes ont accumulé comme charge mentale en télétravail pour mesurer l’appréhension qu’elles ont de retrouver le même environnement.
Revenir, c’est souvent pour les équipes, affronter les mêmes problèmes, et donc revenir avec le même niveau d’engagement qu’avant crise. La crise a été surtout un catalyseur, si vos équipes vivaient une expérience forte avec une création de valeur pas de soucis, mais si elles étaient déjà désengagées la situation risque d’être amplifiée.
Il faut donc absolument agir sur la dynamique de collaboration au niveau de l’équipe, reconstruire le patrimoine immatériel.
Caroline : Dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit. Avec l’omnipotence des réseaux sociaux, l’information circule sans limite et toute action (positive ou négative) finit par être connue. Affirmer une position ne peut plus se faire uniquement par la communication, elle doit être tangible et vérifiable, irriguer tous les choix et les actions de l’entreprise à destination de l’ensemble de ses parties prenantes. Associer ses publics à ses choix stratégiques est aussi un excellent moyen de les faire adhérer et d’être au plus près de leurs aspirations, en créant une réelle dynamique qui influencera et incarnera la raison d’être de l’entreprise.
Comment travaille-t-on sur cette dynamique ?
Julien : Cela passe probablement par une analyse de la dynamique de collaboration sur le long terme, quelles sont les forces qui constituent chaque membre de l’équipe, ce qui a conduit au succès de l’entreprise.
Il y a ensuite un travail d’inventaire, nécessaire pour comprendre comment le projet, la vision, résonnent dans l’esprit des équipes. Cette étape est primordiale pour comprendre comment le projet commun est compris, quelle est la capacité des équipes à accomplir celui-ci, et aussi parfois un moment pour redonner du sens sur l’intention de l’entreprise dans sa mission générale. Cette étape permet de comprendre oh combien, l’accès à l’information stratégique sur l’entreprise, le partage et l’arbitrage des décisions qui concernent ou concerneront les équipes peuvent tout changer en termes de dynamique de collaboration et d’envie de revenir au bureau.
Enfin quand le bilan sur cette dynamique est fait, on choisit d’établir une démarche qui concentre le travail sur les forces et la singularité des membres de l’équipe.
Je parle ici de la création d’une vraie bulle de confiance, un moment où chaque personne de l’équipe de direction, par exemple, va pouvoir découvrir la complémentarité qui peut naître des forces de chacun et se concentrer sur l’aspect positif de la relation interpersonnelle.
La période complexe que nous vivons, nous donne l’occasion de lâcher prise sur nos méthodes de team building pour construire une expérience commune où les forces de chacun et seulement les forces sont mises en valeur, éprouvées, comprises, utilisées.
Caroline : On peut facilement faire un parallèle avec le sport pour ce qui est de créer une dynamique. Les membres d’une équipe sont soudés autant sur le terrain qu’en dehors du terrain, en tous cas, c’est le secret d’une équipe qui gagne : le collectif, la cohésion.
Ce qui crée la cohésion et l’esprit d’équipe ce sont les valeurs qui portent cette équipe, les valeurs autour desquelles l’esprit d’équipe va se construire. Une somme d’individus compétents individuellement ne sera pas forcément une équipe gagnante si ces individualités ne se révèlent pas au sein du collectif. Comme l’a rappelé Julien, « la dynamique est un ensemble de forces orientées vers un objectif commun », mais sans coordination dans les tâches de chacun, en cas de tension entre ces « forces » ou de repli sur soi car on ne trouve pas sa place dans le groupe, un déséquilibre se crée et il devient alors difficile d’être efficaces et d’aller vers un objectif commun. Il est donc essentiel d’aider les membres de l’équipe/collaborateurs à maintenir une communication fluide, à se fédérer autour d’un socle commun de valeurs, à créer et entretenir leurs réseaux internes malgré la distance physique créée, notamment par le travail à distance, et la crise sanitaire que nous venons de traverser qui s’est transformée en crise de sens d’une certaine manière.
Concrètement? Comment fait-on ?
Caroline et Julien :
C’est là que le patrimoine immatériel prend tout son sens. On peut le définir comme ce qui crée l’attachement à l’entreprise, ce qui donne du sens. Comme l’attachement et l’engagement à une marque : un univers auquel on s’identifie, dans lequel on se projette, une promesse qui nous parle et surtout qui est incarnée par le business et la façon dont on « fait le business ».
Comment faire ? Dans un premier temps, définir et (ré) affirmer les valeurs de l’entreprise en mobilisant tous les publics (écoute, co-création), impulser la dynamique de collaboration positive depuis la direction de l’entreprise pour qu’elle irrigue chaque décision et donc soit incarnée, impliquer les collaborateurs pour qu’ils y adhèrent pleinement et s’imprègnent de ces nouvelles valeurs, déployer un plan d’action auprès des managers, auprès des équipes pour les fédérer autour de ce socle commun de valeurs.
L’intelligence collective est un bon moyen d’arriver à cet objectif lors de journées de rencontres par exemple, pour que chacun participe et s’implique.
Le quotidien, les expériences viendront nourrir et fortifier ce patrimoine immatériel, chacun doit pouvoir y laisser une marque, y reconnaître sa contribution, se sentir membre de l’équipe.
L’expérience du télétravail contraint a montré qu’il n’est pas nécessaire d’être physiquement au bureau pour produire et apporter son expertise à l’entreprise, à ses clients. En revanche, on a besoin d’être ensemble pour être créatifs, échanger, partager des expériences, créer du lien, accueillir les nouveaux arrivants, se créer des souvenirs…
Bref tout ce qui fait qu’on se sent bien ensemble, qu’on se ressource et s’identifie à des valeurs. Un peu comme lorsqu’on retourne dans sa maison d’enfance…